Les textes de ce dossier sont signés de Christine Levisse-Touzé, Directrice du Mémorial du Maréchal Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris - Musée Jean Moulin, Directrice de recherche associée à Montpellier III et de Isabelle Rivé, Directrice du Centre de la Résistance et de la Déportation de Lyon.
Ils sont extraits de l'opuscule Jean Moulin (1899 - 1943) distribué gratuitement pendant une exposition consacrée à Jean Moulin qui a été présentée au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon du 15 mai au 26 octobre 2003 sous le titre "Jean Moulin, Héros de la République" et au Mémorial Leclerc-Musée Jean Moulin du 28 mai au 19 octobre 2003 sous le titre "Sur les pas de Jean Moulin".
Cette manifestation proposait au visiteur d'évoquer, au travers des lieux de vie, ses années de jeunesse, le haut-fonctionnaire engagé et le Résistant au service du général de Gaulle, et enfin la place de Jean Moulin dans la Mémoire de la France.
Elle mettait l'accent sur la dimension humaine de Jean Moulin qui n'est pas né martyr. La Galerie Romanin, à Nice, qui servait de couverture à ses activités de résistant était évoquée par une présentation de quelques oeuvres qui s'y trouvaient.
Coproduite par Paris-Musées, cette exposition a été le fruit d'une coopération très étroite avec le ministère de l'Intérieur, le musée de la Résistance nationale de Champigny-sur-Marne, le Centre de la Résistance et de la déportation de Lyon, le musée des Beaux-Arts de Béziers. Vous trouverez sur la page "Liens" de notre site des renvois vers les sites de ces organismes que nous remercions.
Sommaire de ce dossier :
Jean-Pierre Moulin, quatrième et dernier enfant de Blanche Pègue et d'Antonin Moulin naît le 20 juin 1899 à Béziers mais le berceau familial est Saint-Andiol dans les Alpilles (Bouches du Rhône). Les Moulin, habitent à Béziers une maison rue d'Alsace face au Champ de Mars, lieu de jeux et de spectacles pour les enfants. Le père Antonin est professeur de lettres classiques puis d'histoire au collège Henri IV. Radical-socialiste, ardent défenseur de la République, Antonin Moulin est très engagé dans la vie politique locale. De 1894 à 1902, il s'investit dans la vie de la cité en étant adjoint au maire de Béziers, Alphonse Mas, grand urbaniste, et contribue, entre autres, au développement de l'Education populaire. Il défend le capitaine Dreyfus dès 1894 et fonde la société bitteroise de la Ligue des droits de l'homme. Il adhère au Grand Orient en 1902 et, favorable à la séparation de l'Eglise et de l'Etat en 1905, s'engage dans la bataille anticléricale. Libre penseur, il est dépourvu d'esprit sectaire puisqu'il n'empêche pas sa femme instruite, -elle a son brevet supérieur- de prodiguer une éducation religieuse à ses enfants. Homme lettré, Antonin est l'auteur de nombreuses monographies sur l'histoire locale et compte aussi à son répertoire d'écrivain, des pièces de théâtre. Il est élu conseiller général du canton de Béziers en 1913 sur la liste du Congrès républicain.
En 1907, la famille est endeuillée par la mort de Joseph 19 ans, le fils aîné. Les parents reportent toute leur affection sur Laure et Jean qui sont élevés suivant une morale civique exigeante : « Instruction, travail, justice, vérité, tolérance, solidarité »;. Ils leur forgent une âme de citoyen. Les enfants sont nourris d'histoire républicaine « L'histoire de la Révolution française » de Michelet et de ses héros, Camille Desmoulins, Danton. Les pères fondateurs de la IIIème République figurent au Panthéon personnel de la famille Moulin où Léon Gambetta le député de Marseille, occupe une place privilégiée parce qu'il a réussi à imposer la République. Jean Moulin y fera référence dans son rapport au général de Gaulle le 7 mai 1943. Les enfants Moulin sont également imprégnés de culture méridionale par leurs parents liés d'amitié au poète Frédéric Mistral. Jean est très famille ; les lettres à ses parents et à sa sœur traduisent son affection profonde et une très grande connivence avec son père qui le conseillera dans sa carrière.
Jean suit une scolarité des plus classiques, plus attiré par le dessin que par les autres matières. Un de ses professeurs porte l'appréciation suivante : fera un excellent élève quand il se décidera à travailler, ce qu'il fait véritablement à partir de la seconde. Jusqu'en 1917, la vie de famille est partagée entre Béziers et Saint-Andiol où il passe ses vacances entouré de ses cousins Escoffier et Sabatier. Les parents leur font découvrir les Alpilles, les lieux familiers d'Alphonse Daudet : Fontvieille, St-Rémy de Provence, le site antique des Glanum, nourrissant la pensée rêveuse de leur fils. Il est fasciné par un château féodal en ruines, accroché aux Alpilles, Romanin, surplombant la plaine entre St-Rémy et St-Andiol, pseudonyme qu'il adoptera pour s'adonner à son violon d'Ingres, la caricature et le dessin. Ses jeunes années sont très heureuses, riches de culture et entourées de l'affection des siens.
Il a 15 ans lorsque la Grande Guerre éclate. Ses compositions françaises et ses caricatures publiées dans La Baïonnette et la Guerre Sociale qui révèlent un talent certain, reflètent sa peur de la guerre. Bachelier en 1917, doué pour les arts graphiques, Jean Moulin, « philosophe rebelle », aurait voulu faire une carrière artistique, mais raisonnable, il se laisse facilement convaincre par son père de faire son droit à la faculté de Montpellier. Ayant été témoin du combat politique de son père, il estime que son devoir est plutôt de servir la République en embrassant la carrière préfectorale. Il entre sur recommandation de son père, au cabinet du préfet de l'Hérault, pour subvenir à ses besoins. Mobilisé le 17 avril 1918 au 2e génie de Montpellier, comme tous les jeunes de sa classe d'âge, il n'est pas envoyé au front mais dans la Vallée de la Moselle puis à Verdun. Il a été durablement marqué par la vision tragique des villages dévastés et du retour des prisonniers. Démobilisé, en octobre 1919, il retrouve son poste auprès du préfet et termine ses études de droit. Le préfet Lacombe qui l'apprécie dit de lui, fera un excellent sous-préfet lorsqu'il aura terminé ses études de droit. Ses trois années passées au cabinet du préfet lui ont appris les rouages de l'administration préfectorale et il a été le témoin de la violence du combat politique dans un département très républicain. Il adhère en 1921 aux Jeunesses laïques et républicaines de tendance radicale-socialiste, seule période de sa vie où il a une activité militante. Jusqu'à l'âge de 22 ans, les frontières naturelles de Jean Moulin sont le Lubéron et le Mont Ventoux.